Sculpture monumentale
Pour Bruno Bossut, une sculpture monumentale, c’est d’abord impacter le spectateur par un changement d’échelle qui le place dans une réalité proche de celle d’un enfant évoluant dans un monde aux dimensions d’un adulte. Nous retrouvons alors cette sensation liée à la perception d’une chose extraordinaire qui nous fait face ; fascinés à la fois par une taille hors norme dans l’environnement et une prouesse technique, désireux que nous sommes de comprendre comment cela est possible. Et en effet, le plasticien est porté par le défi technique que représente la réalisation de telles pièces. Si l’idée peut sembler irréalisable, l’artiste n’a de cesse de trouver les solutions pour la mettre en œuvre sans jamais déroger à sa pensée initiale. Car c’est dans la démesure de l’idée de départ que se joue une partie des enjeux esthétiques ; en cela, la technique tient une place équivalente dans la création.
En plaçant ce type d’œuvres dans l’espace public, Bruno Bossut en modifie son appréhension et nous force à regarder à nouveau notre environnement. On lève la tête pour embrasser la pièce et d’un coup, le ciel, le soleil font partie de notre paysage. Le majestueux, le singulier s’introduisent dans notre panorama quotidien.
Vincent, Willy et moi
Vincent, Willy et moi, kevlar, carbone, acier, inox, résine polyester armée de fibre de verre, peinture polyester armée de fibre de verre, 430 x 340 x 150 cm, 320 kg, 2023.
Vincent, Willy et moi est une peinture sculpturale monumentale de 4,3 mètres de hauteur, 3,4 mètres de largeur et 1,5 mètre de profondeur, faisant 320 kg. Sa structure est réalisée en kevlar et en carbone associés à des sections en acier et inox. L’ensemble est recouvert d’une résine polyester armée de fibre de verre et peinte à base de cette même résine colorée.
Vincent, Willy et moi représente un bouquet de 15 tournesols dans une jarre.
Cette pièce-hommage est le résultat d’une fusion entre la peinture d’un artiste mondialement reconnu — « Les tournesols » de Vincent Van Gogh et les jardinières, aujourd’hui iconiques, d’un designer industriel pionnier — Willy Guhl. Cette synthèse est orchestrée par Bruno Bossut, sculpteur et peintre.
Le plasticien a donné corps au bouquet de tournesols de Van Gogh en lui ajoutant une troisième dimension et une monumentalité. C’est la forme en corolle des jardinières de Willy Guhl qui lui a inspiré le lien avec le tableau. Les versions « Oreille d’éléphant » (dans 2 tailles) et « Mouchoir » (dans une taille) lui ont servi de masters pour la réalisation des moules et ont guidé, de fait, la monumentalité de l’œuvre finale.
Genèse d’une idée, 3 siècles d’histoire de l’art
20e siècle, Willy Guhl et ses jardinières
Réalisant une veille constante sur Internet pour dénicher des pièces de designer sur lesquelles il pourrait intervenir picturalement après moulage de celles-ci, Bruno Bossut découvre le travail du créateur suisse Willy Guhl et en particulier sa série de jardinières moulées. Il se retrouve pleinement dans ce designer industriel qui explore comme lui le moulage au travers des matériaux innovants de l’époque comme l’Eternit, aussi appelé fibro ciment. Par ailleurs, il aime cette approche d’un design industriel appliquée à un usage quotidien. C’est décidé, il part en quête de ces jardinières et acquiert 2 « Oreilles d’éléphant » (50 x 50 x 20 cm et 80 x 80 x 33 cm) et 1 « Mouchoir » (70 x 70 x 34 cm). Une fois ces pièces à l’atelier, il les touche et observe longuement leur forme en corolle. Son esprit fait alors le lien avec une toile d’un artiste qu’il affectionne tout particulièrement : « Les tournesols » de Vincent Van Gogh.
Willy Guhl à droite à l’atelier en train de former une jardinière avec son équipe.
19e siècle, Vincent Van Gogh et ses tournesols
Si Bruno Bossut perçoit une forme de mélancolie parcourir les toiles du peintre, il constate aussi de sa capacité à la contrebalancer en faisant de la couleur et de la lumière — capturée dans sa touche si singulière — des moyens d’insinuer une sensation d’allégresse. C’est ce qui se joue dans la série des tournesols débutée en 1888 et particulièrement la version conservée au Van Gogh Museum à Amsterdam. Les fleurs sont peintes dans des teintes proches du marron, mais rehaussées par un fond quasiment doré et une touche épaisse qui permet à la lumière de s’y accrocher donnant une impression d’éclat ou de scintillement. Vincent van Gogh est d’ailleurs considéré comme le pionnier dans l’ « impasto » ou « technique d’empâtement ».
Les tournesols, huile sur toile, 95 x 73 cm, 1889, Vincent Van Gogh.
21e siècle, Bruno Bossut et ses objets moulés et peints
Bruno Bossut se sert de la citation (d’objets design) dans son travail pour emporter avec lui le spectateur qui va parvenir à identifier la référence (comme ici pour les tournesols). Loin d’être nostalgique, il s’appuie sur un passé pour l’enrichir au présent. Lorsqu’il travaille à partir de pièces de design vintage, Bruno Bossut intègre leurs premières vies (éclats, rayures) à un présent dans une forme de continuité historique. L’objet ainsi obtenu est comme la fusion d’un passé et d’un présent.
Les jardinières d’un designer innovant d’un côté, une toile de maître qui le fascine de l’autre et Bruno Bossut voit poindre en lui une idée qui mettra en œuvre l’ensemble des pratiques qu’il affectionne : le moulage d’objets vintages en leur apportant une dimension picturale par l’emploi d’une matière épaisse qui n’est pas de la peinture. Contrairement à son habitude, il va détourner l’usage des pièces moulées. L’aspect utilitaire des jardinières s’envole pour ne conserver d’elles que leur évocation formelle : la corolle d’une fleur. Ce sont les dimensions des jardinières qui vont déterminer les proportions et donc l’échelle de la pièce.
Les 3 jardinières de Willy Guhl chinées par Bruno Bossut, gauche et au centre « Oreille d’éléphant », à droite « Mouchoir ».
Un hommage monumental
Du volume dans la touche
L’idée de faire d’une peinture de Van Gogh une sculpture transporte littéralement Bruno Bossut, car elle va lui permettre de donner au public la mesure de la picturalité sculpturale à l’œuvre dans les toiles du peintre. L’artiste est reconnu pour son traitement singulier de la touche, un empâtement nommé impasto qui laisse visibles les coups de pinceau et qui, dans le relief, capte la lumière. De sorte qu’un tableau de Van Gogh ne se lit pas de la même façon selon l’éclairage. Ainsi, une touche faisant 2 millimètres d’épaisseur dans Les tournesols, devient un empâtement de près de 2 centimètres dans Vincent, Willy et moi. C’est un peu comme si le sculpteur grossissait le jeu de l’impact de la lumière sur la toile pour montrer à quel point celle-ci est constitutive du tableau au même titre que la couleur.
Tout comme le peintre, Bruno Bossut travaille une matière épaisse qui se solidifie, pouvant devenir volume par l’application de couches successives. Il recherche ce coup de pinceau qui lui permettra de conserver la trace de l’outil dans l’épaisseur de la matière. Lors de la mise en peinture de la pièce, le plasticien adopte la posture du peintre : debout face à son support, un pinceau dans la main gauche, une cuvette avec le gelcoat dans la main droite.
Une peinture sculpturale
En analysant le bouquet, Bruno Bossut s’aperçoit que celui-ci a été composé par le peintre en pensant à la posture frontale du spectateur face à un tableau ; agençant chaque tournesol de face, de 3/4 ou de profil, mais jamais de dos. Il en résulte une composition quasiment plate renforcée par le cerne qui définit les contours du vase et l’absence d’un jeu d’ombre et de lumière sur celui-ci pour simuler le volume (comme dans d’autres compositions). Seule la démarcation bleutée en courbe au-dessus de la signature permet d’imaginer une jarre en rond de bosse. Cette scénographie fait de cette composition florale non plus un bouquet traditionnel, mais la prépare au basculement vers la deuxième dimension, la peinture, et en cela, à devenir un motif.
Le plasticien adopte le point de vue frontal de Van Gogh en travaillant le volume selon un angle de vue idéal pour le regardeur de 90°. Cet angle permet à la fois de respecter la vision proposée par le peintre et de constater de l’incidence lumineuse sur la touche en relief. Dans cet esprit, le vase — bien que réalisé en volume — a ses flancs cernés de marron donnant l’illusion d’une platitude ; de même, le dos de la pièce est laissé brut afin de renforcer le sens de lecture. Pour cette raison, Bruno Bossut affirme avoir créé avant tout une peinture monumentale adoptant des atours sculpturaux pouvant s’apparenter, par certains aspects, au bas-relief
Une œuvre entre art, artisanat et techniques industrielles
Bruno Bossut est un artiste qui maîtrise tous les aspects de la création : de l’idée à la fabrication. Pour ce qui est de « Vincent, Willy et moi », l’artistique est présent à la naissance du concept, lors de la composition du bouquet et au moment de la mise en peinture pour obtenir l’effet pictural souhaité. Le plasticien se sert des techniques industrielles de moulage (à la chaîne) appliquées de façon artisanale (autrement dit à la main) pour mettre en forme son idée. Cela lui permet de maîtriser tous les aspects de son œuvre et d’en dépasser les limites (notamment les propriétés techniques des matériaux). Il en résulte un artiste complet. Il voit dans cette transversalité des pratiques un enrichissement.
« J’ai pensé cette pièce, je l’ai dessinée, je l’ai construite, à tout moment l’artiste à côtoyé l’artisan. L’artiste réfléchis, il pense, il dessine, il sculpte des petites jardinières qu’il passe à l’artisan pour les mouler ; l’artisan les assemble sous l’œil de l’artiste et ce dernier les peint. C’est l’artiste qui valide la maquette. »
↑ Cuvettes contenant les couleurs gelcoat des tournesols, palette de l’artiste
← Table de recherche, esquisses et dessins techniques
La pièce en situation dans l’espace public à Lège-Cap Ferret, été 2024
L’équilibre des couleurs
Cette œuvre est une réponse à une interrogation récurrente du public à l’égard de la solidité des objets entièrement réalisés en plastique. Pour ce faire, Bruno Bossut donne corps de façon esthétique à une prouesse technique par l’usage d’un matériau composite. En une pièce monumentale, où des forces se compensent dans un subtil jeu d’équilibre, le plasticien démontre les propriétés physiques de résistance des fibres de verre agglomérées par de la résine. L’artiste n’en n’oublie pas pour autant son amour de la référence en rendant ici hommage au funambule Henry’s dont les performances mettaient régulièrement en scène une superposition de chaises. En outre, le titre et le choix des couleurs de ces quatre assises (moulés à partir d’un siège signé Bofinger), rappellent de façon poétique l’harmonie au sein de laquelle nous vivons à condition d’y prêter attention : noir pour la terre, orange pour les fleurs et la nature, bleu pour le ciel et la mer et enfin jaune pour le soleil. À noter enfin, que cette sculpture monumentale a été exposée en 2022 à l’Hôtel de Ville de Saint-Étienne en hommage à Henry’s, natif de Sainté.
← L’équilibre des couleurs, moulage de quatre chaises BA 1171 Bofinger en résine polyester armée de fibre de verre, de kevlar et de carbone, 390 x 90 x 90 cm, 2020.
↑ Affiche d’un spectacle du funambule Henry’s, personnage ayant inspiré l’œuvre « L’équilibre des couleurs ».
↑ ↓ → Vues de l’exposition « Détournement pictural », Médiathèque de Petit Piquey, Lège-Cap Ferret, été 2024.