Démarche artistique
Tout commence en 2008 par la création d’une réplique par moulage de l’iconique modèle de chaise Bofinger (1966) du designer Helmut Bätzner. Pour la première fois, Bruno Bossut choisit de traiter la surface d’un objet non plus de façon monochrome, mais à la manière d’un peintre. Il pénètre alors avec envie l’univers pictural. Le plasticien travaille selon trois axes qui, chacun, puise dans les caractéristiques de l’autre. Il y a d’abord cette volonté de sculpter la peinture, puis de déformer des objets réels et enfin de réaliser des répliques de mobilier mythiques en en faisant de véritables surfaces picturales utilitaires. À chaque fois il s’agit, par l’appréhension d’un volume, de provoquer le mouvement dans l’objet et/ou du spectateur.
C’est progressivement que la peinture devient sculpture. L’artiste engage sa réflexion en peignant à l’aide d’une épaisse résine et par larges touches une toile montée sur châssis. L’œuvre est monochrome, abstraite. Ce qui importe ce n’est pas tant ce qui est représenté que le jeu de la lumière dans les stries de la matière. (Ce n’est pas un hasard si Bruno Bossut est transporté par le travail de Van Gogh et Soulages.) La lumière révèle un volume, on sort alors d’une surface plane pour s’approcher de la troisième dimension.
Le créateur décide de faire de ses toiles des moules en silicone qu’il déforme pour produire un objet unique dans son volume, mais identique dans sa surface, et passer ainsi d’une pièce à présenter au mur à une sculpture à poser sur un socle. Pour le spectateur cela signifie sortir d’une immobilité contemplative et entrer dans une sorte de chorégraphie révélant les contours de l’œuvre. Deux mouvements s’opèrent : le médium peinture est évacué au profit de la sculpture ; l’objet manufacturé en fibre de verre prend la place de l’objet réel (une toile montée sur châssis).
Aimant particulièrement briser les limites du réel et rendre possible ce qui normalement ne l’est pas, le plasticien s’attaque à la déformation d’objets et en particulier de miroirs. Il en réalise des moules qu’il déforme et, grâce à une peinture au chrome et une dorure, simule les propriétés d’un verre miroir et sa moulure en bois. L’image du regardeur, prise dans ce cadre, devient tableau mouvant soumis aux altérations du miroir. Le spectateur a beau livrer intacte sa silhouette, l’objet lui renvoie tout autre chose. Le réel est comme travesti. Une nouvelle fois, seule l’interaction anime complètement l’objet, à la manière d’un jeu qu’il faut manipuler pour en dévoiler tous les aspects.
Collectionneur de mobilier design des années 70, Bruno Bossut en réalise des répliques par la fabrication d’un moule. Ce dernier devient alors l’équivalent d’une toile vierge sur laquelle l’artiste applique la résine teintée comme le peintre peint sa toile. La gestuelle adoptée est pensée pour souligner les courbes de l’objet. Pour le créateur, il ne s’agit pas de modifier son statut — il conserve sa fonction d’assise ou de table — mais bien de lui adjoindre une dimension supplémentaire. L’usager navigue alors entre design, sculpture et peinture. Les quatre fauteuils et la table basse du set « Chacun sa place » sont comme les pièces d’un puzzle qui, une fois correctement assemblées, forment une composition picturale en volume et fonction- nelle. Le choix de couleurs vives relève de l’intuition du plasticien, quand la production est le résultat de processus et savoir-faire parfaitement maîtrisés. Liberté, surréalisme et humour parcourent l’œuvre de Bruno Bossut qui fait tomber les frontières entre différents domaines de la création.